Danielle ROPARS |
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Chapitre
extrait du livre
"Indochine 1947-1954"
- Danielle Ropars
Nghia Lô et le camp 113 "Une période douloureuse de ma vie" Robert Auguet Mon
départ en Indochine
J’étais rapatriable en octobre 1951,
lorsque j’ai
été fait prisonnier à Nghia
Lô. En effet, Je
suis parti en Indochine en septembre 1949, après une
formation
de commando parachutiste à Vannes puis à St
Brieuc. Je
m’étais engagé dès mes 18
ans, avec
l’accord de mon père. Mes parents auraient
souhaité
que je poursuive mes études au-delà de mon BEPC,
mais les
récits d’un de mes voisins de
Châteauroux sur les
combats dans la Résistance, et d’un ancien
parachutiste en
Angleterre exaltaient davantage mon imagination que la perspective
d’un travail dans l’administration.
NGHIA LÔ
Après Laithieu et l’aéroport
de Than Son Ut,
près de Saïgon, mon bataillon a
été
dirigé sur le Tonkin et lorsque le 8e bataillon de
parachutistes
coloniaux a été constitué, je me suis
retrouvé dans la 16e compagnie sous les ordres du lieutenant
Guéguen.
Le 2 octobre 1951, le 8e bataillon de parachutistes coloniaux, est en état d’alerte aéroportée. Le 2e BEP est lui aussi en alerte, ce qui signifie que l’affaire est sérieuse : les Viets ont donné l’assaut au poste de Nghia Lô, dans la haute Région tonkinoise. L’alerte confirmée, les compagnies sont dirigées vers Gia Lam pour embarquement immédiat et parachutage sur la piste du poste de Gia Hoï. Le regroupement effectué, la 15e compagnie prend les pitons, la 16e compagnie prend la piste. Après quelques reconnaissances, la 16 est durement attaquée et doit se replier en tiroir, manœuvre militaire applicable sur cette piste qui serpente à flanc de colline. Mais les pertes sont déjà importantes et le PC du bataillon reçoit des appels de volontaires. J’étais resté au PC, conformément à la tradition qui veut que les rapatriables terminent leur dernier mois de séjour à la base. Or, je devais rentrer en France au mois d’octobre. Comme la plupart de mes camarades, j’ai répondu présent. Je fus parachuté à Gia Hoï et affecté à la section du lieutenant Truchot. Le 6 octobre 1951 vers 17 heures, nous étions toujours sur la piste, en progression vers Nghia Lô, quand l’infirmier de la compagnie, Zimnock, apercevant un ruisseau qui coulait de la pente de droite, a demandé au lieutenant Truchot l’autorisation d’aller prendre de l’eau, prévoyant d’avoir des pieds à soigner à la fin de notre parcours. L’autorisation accordée, Zymnock rentre sous le couvert, s’approche du ruisseau et s’écrie : « Mon lieutenant, ils sont là ! ». L’embuscade Aussitôt, c’est l’enfer. La piste faisant un S à cet endroit, nous étions hors de vue du reste de la compagnie. Une mitrailleuse en hauteur prenait la piste en enfilade et empêchait tout repli vers l’arrière. Le lieutenant cria immédiatement : Tous au thalweg ! Ordre exécuté instantanément par tous, sauf par moi, car, étant voltigeur de pointe ce jour-là, je me trouvais juste sous la mitrailleuse. Des grenades à manche tombaient autour de moi, heureusement sans exploser. Au bout d’un moment, profitant d’une accalmie, j’ai pu rejoindre mes camarades dans le thalweg et me suis étonné de les trouver près de la rivière sans tenter de la traverser. Le sergent Vallot m’expliqua que les Viets nous attendaient de l’autre côté. Ils avaient retenu la leçon de l’embuscade précédente où plusieurs des nôtres avaient réussi à rejoindre la compagnie de cette façon. Nous avons donc essayé de revenir à Gia Hoï en longeant la piste depuis le bas du ravin. Mais très vite, nous avons été découverts, et les Viets qui étaient sur la piste nous ont pris pour cible. Après un échange de coups de feu, nous nous sommes mis en position défensive sous le couvert, espérant que la nuit nous permettrait de quitter cet endroit qui était le secteur de Nam Muoï. Hélas, les Viets nous avaient repérés et étaient descendus eux aussi dans le thalweg. Après une heure d’escarmouches, nos dotations de feu étant épuisées, le lieutenant Truchot nous ordonna de retirer nos culasses mobiles et de les jeter dans le ruisseau, de jeter nos armes dans la brousse et de nous rendre, pour éviter de la casse inutile. Premières journées de captivité Les Viets nous ont fait remonter sur la piste, où un commissaire politique nous attendait et nous a mis dos à la paroi, nous traitant de criminels et nous annonçant que nous allions être fusillés. Puis, ils nous ont retiré nos chaussures, nous ont attachés les uns aux autres avant de nous évacuer vers une grotte, où nous sommes restés jusqu’à la fin de la bataille qu’ils ont perdue. D’autres prisonniers nous ont rejoints et nous sommes partis vers Yen Bay. Passant devant une sorte d’hôpital de campagne, où étaient soignés deux cents blessés viets, nous avons bien cru que notre dernière heure était arrivée. Les blessés les plus valides se levaient de leur civière pour nous agresser. Nos gardiens, qui avaient manifestement des ordres, repoussaient ces pauvres diables sans aucun ménagement. Les gardiens de l’armée régulière sont repartis vers leur régiment, lorqu’ils nous ont amenés dans un camp de regroupement. Nous allions dès lors être livrés à l’arbitraire des célèbres Zou-kids. Nous avons été dépouillés de nos montres, de nos bagues et de nos gourmettes. Nous avons été armés de pelles et de pioches, pour être exhibés aux populations des villages traversés. Une nuit, nous avons couché près de fleuve Rouge, ce qui a donné à quelques-uns des idées d’évasion, mais tous furent repris et le lendemain, deux d’entre eux ont été abattus, après un simulacre de procès, par le chef de camp, membre des Zou-kids. Le camp 113 La famine – Le lavage de cerveau Au bout de quelques jours de marche, nous sommes arrivés au camp 113, situé dans la région de Thuyen Quang. Nous y avons retrou-vé des soldats du 3e BCCP, qui avaient été faits prisonniers lors des combats de Cao Bang et de Lang Son, dans un état physique et moral fortement dégradé. Le chef de camp était marié à une Française, prise comme otage à Hanoï en 1945, avec sa mère et sa sœur. Elles auraient pu être libérées, mais le chef de camp ne leur en a rien dit. Quand elles l’ont su, il était trop tard pour celle qui avait accepté le mariage pour améliorer leur situation. Sa mère et sa sœur sont restées pour ne pas l’abandonner. Nous commençons par construire des cabanes pour nous mettre à l’abri. Blessé au pied avec un bambou, je suis exempté de travail, car les Viets pensaient que j’allais perdre mon pied. Heureusement, un prisonnier, vieux capitaine de la coloniale, m’a donné des conseils pour soigner ma blessure et j’ai été guéri. La construction des logements terminée, les séances d’autocritique et de rééducation politique ont commencé, sous l’autorité du chef de camp, qui avait aussi le grade de commissaire politique. Il fallait faire de nous des « hommes nouveaux ». Le lavage de cerveau, qui ne lavait pas grand-chose pour nous, avait des effets dévastateurs sur les soldats d’Afrique et d’Afrique du Nord, mais aussi sur les Légionnaires allemands, à qui le commissaire politique faisait miroiter un retour en Allemagne en passant par la Chine et la Russie, en réalité, un piège pour les mettre en prison dès leur arrivée. La libération de quelques prisonniers fut envisagée pour Noël. Pour les rendre présentables, il fallait les habiller correctement. Un appel fut lancé un beau matin, pour trouver des « couturiers ». Aucun candidat ne se présente. Je donne un coup de coude à mon camarade Blot pour l’engager à répondre, il commence par me traiter de dingue, puis il finit par s’avancer avec moi. Nous étions chargés de coudre les tenues des libérables avec de la toile blanche et du fil de soie jaune d’or. Au début, nous n’avancions pas vite, mais nous avons rapidement acquis une certaine dextérité. Cependant, l’intérêt de cette occupation était ailleurs : « l’atelier de couture » se trouvait à côté de la case du chef et de sa chèvre, qui avait le privilège de terminer le gâteau de riz du chef et de sa famille. La chèvre fut bientôt mise à la portion congrue et nous nous sommes régalés de ce riz qui remplaçait avantageusement le paddy des prisonniers. Puis, il fallut teindre les tenues des libérables avec des feuilles de frêne, que nous allions chercher près de la rivière, à environ un kilomètre du camp, sans surveillance. Cela nous permettait de faire un petit commerce de troc avec les paysans du coin, nos fermetures éclair, nos tenues en comptaient quatorze, contre des bananes ou du tabac. Après le départ des libérés de Noël, nous étions au chômage et au régime de famine. Plus de riz. Le retour au régime commun signifiait aussi dysenterie, béri-béri, scorbut. Et surtout, nous revenions aux séances de lavage de cerveau. La vie continuait. Les copains mouraient. Nos forces étaient si faibles que nous ne pouvions pas les enterrer, la terre était trop dure. Quand le petit Flinois, qui rêvait d’être agent forestier, est décédé, personne ne s’est porté volontaire pour l’ensevelir, malgré la promesse d’une gamelle de paddy supplémentaire. Nous commencions à ressembler à des zombis ambulants. Je me suis levé parce que je l’aimais bien, et aussi parce que cela me permettait de passer près de la cahute du lieutenant Truchot qui était près du cimetière. Blot et moi avons peiné pour traîner ce petit corps qui ne pesait pas plus de 30 kilos. Les dernières recommandations du lieutenant Truchot Le lieutenant Truchot, avait été mis à l’écart dans une cabane, appelée « résidence officier ». Il réclamait pour tous l’application de la convention de Genève, refusée par les Viets qui prétendaient que la convention de Genève ne s’appliquait pas aux criminels de guerre que nous étions. Il ne répondait pas lorsqu’on l’appelait « camarade ». Comme je me déplaçais assez facilement dans le camp, avant que la discipline ne se resserre, j’allais assez souvent le voir pour lui porter un pamplemousse que je dérobais dans une ancienne plantation. Un jour, il me dit : « Tu vois, Auguet, pour moi, c’est foutu, car je ne me plierai jamais à l’exigence de ces singes habillés. Mais vous, qui n’avez pas les mêmes obligations que moi, marchez dans leur jeu. Il y va de votre survie. Dis-le aux autres. Qu’ils fassent les pires singeries, si cela peut leur permettre d’être un jour libérés. » L’annonce de la libération de prisonniers pour le 14 juillet Puis ce fut mon tour d’aller à l’infirmerie, où j’ai végété pendant quelques jours, ponctués de rares visites de copains, de Blot en particulier, qui m’informait des préparatifs de la prochaine libération, prévue pour le 14 juillet. Mais j’étais déjà à moitié dans le coaltar, et cela m’était indifférent. Puis, un jour, Lestang est venu me dire : réveille-toi, tu es sur la liste des libérables ! Je fus soumis au régime de la mélasse et des bananes pour me retaper un peu. Puis je suis sorti de l’infirmerie pour aller voir le lieutenant Truchot et lui annoncer mon départ. Il était moribond. Il voulait se lever pour me serrer la main, il n’a pas eu la force de le faire. J’ai voulu l’aider, mais je n’ai pas pu. Il est mort quelques jours plus tard. La libération Nous sommes partis en juillet. Nous formions un triste convoi qui n’allait pas assez vite au gré des bodoïs. Si vous êtes fatigués, retournez au camp, disaient-ils. |
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